Par Aristide Leucate *
Les résultats des dernières élections législatives italiennes qui virent la relégation du technocrate, Mario Monti (aux alentours de 10% des suffrages), en même temps que la percée de la coalition de gauche de Pier Luigi Bersani, tandis que la droite (30,71%) s’impose au Sénat, ces résultats, donc, sonnent comme un réveil des peuples trop longtemps en léthargie.
Le politologue du Système, Dominique Reynié, s’étrangle à propos d’une supposée « flambée populiste » qui embraserait toute l’Europe : « les populistes sont des hackers : ils ‘‘plantent’’ le système. On sait bien qu’ils n’ont aucune solution, ils ne savent pas quoi faire de leurs élus, mais ils canalisent les mécontentements et les frustrations sur le terrain des lâchetés et des incohérences des élites » (Le Monde, 27 février).
« Reyniégationnisme »
La véhémence, quasi-hystérique, de tels propos dans la bouche d’un professeur à Sciences Po., témoigne d’une mauvaise foi évidemment dénuée de toute scientificité parce que dictée exclusivement par l’émotion et la panique. On ne sait d’ailleurs pas de qui, précisément, parle notre « expert ». On rappellera que celui-ci a commis, en 2011, chez Plon, un pompeux et indigeste Populismes : la pente fatale, dans lequel il osait affirmer, avec un mépris culotté et un art consommé de la tartufferie, notamment, que : « ce n’est pas faire insulte aux électeurs qui ont refusé l’Europe au cours des derniers référendums de montrer que la xénophobie et le populisme ont contribué de manière déterminante à la victoire du ‘‘non’’. Tous les électeurs du ‘‘non’’ ne sont pas populistes et xénophobes, mais tous les populistes et les xénophobes ont voté ‘‘non’’ » (p.116). Soumises à la lumière crue des déclarations précitées, ces phrases prennent un tout autre sens dont la limpidité n’en révèle pas moins la conviction profonde de leur auteur : les peuples, habilement assimilés aux « populistes », sont d’infréquentables et dangereux « xénophobes » qui votent très mal et sont indignes du meilleur des mondes européo-mondialisés possibles. Autant dire, le degré zéro de la pensée sociologique et politique, le soi-disant « chercheur » ne s’interrogeant nullement, ni sur la signification polymorphique du terme populiste, ni sur la raison d’être politique d’un mouvement qui a, a minima, le peuple pour noyau atomique.
Le respect du peuple
Comme le rappelle opportunément, Vincent Coussedière, « ‘‘populisme’’ servait d’abord à désigner des mouvements d’émancipation du peuple » (Eloge du populisme, Elya Editions, 2012). Dans son sens actuel, « le populisme est le retour du refoulé de l’existence des peuples » (Le Spectacle du monde, novembre 2012). En outre, Coussedière rejoint le penseur américain, Christopher Lasch (Le seul et vrai paradis. Une histoire de l’idéologie du progrès et de ses critiques, Flammarion, 2006) quand ce dernier, se livrant à une généalogie des populistes fondée sur les révoltes paysannes qui secouèrent le sud des Etats-Unis, à la fin du XIXe siècle, dégageait en même temps l’eidos de leur éthique, ni « libérale ou ‘‘petite-bourgeoise’’, au sens où le XXe siècle entend ces termes », certes « anticapitaliste, mais ni socialiste, ni social-démocrate, à la fois radicale, révolutionnaire même, et profondément conservatrice ». Avant d’être un demos ou peuple politique, celui-ci est d’abord un ethos, qu’une longue histoire parachève et consolide en ethnos. Par définition, le peuple ne peut qu’être conservateur, moins par ses acquis (parfois arrachés de haute lutte), forcément contingents, que par sa vertu intrinsèque, que Lasch avait bien perçue, le respect : « le populisme souscrit sans équivoque au principe du respect. C’est entre autres pour cette raison que l’on doit préférer le populisme au communautarisme, trop prompt au compromis avec l’Etat providence et à adhérer à son idéologie de la compassion. Le populisme a toujours rejeté une politique fondée sur la déférence aussi bien que sur la pitié. Il est attaché à des manières simples et à des discours simples et directs » (La révolte des élites et la trahison de la démocratie, Climats, 1996, p.114). Lasch met ainsi l’accent sur l’authenticité profonde qui caractérise le populisme. En cela, il s’oppose frontalement aux élites, lesquelles nourrissent envers lui un dénigrement hautain ou, au mieux, une commisération ayant valeur d’absolution des prétendus errements électoraux du peuple. C’est cette détestable compassion, « devenue le visage humain du mépris », selon Lasch, que rejettent les peuples dans leurs fractions radicales (dans l’acception littérale du terme), désormais excédés de cette infantilisation de masse visant à minorer leurs responsabilités les plus élémentaires (telles, par exemple, que l’éducation de leurs enfants prise autoritairement en charge par la puissance publique, ou la ponction fiscale excessive, véritable capitis diminutio du droit de propriété, dont Lasch observait qu’il a toujours historiquement constitué « la base nécessaire de la vertu civique » (Ibid., p.101).
Une réaction « souverainiste »
Les chantres de la « nouvelle classe mondiale » ne s’y trompent guère quant aux procès en sorcellerie qu’ils font systématiquement aux peuples et aux populismes. Délibérément détourné dans un sens explicitement péjoratif, le populisme revêt une connotation foncièrement négative qui tendrait à confondre abusivement (mais à dessein) le peuple et la foule, ce, aux fins de susciter la révulsion, la pensée politique du premier étant commuée, par la seconde, en instinct sauvage. Sur ce point, les travaux du philosophe argentin, Ernesto Laclau, permettent d’éclairer cette peur viscérale des élites à l’endroit de leurs gouvernés. Niant le peuple en tant qu’entité politique par excellence, ses votes ou ses réactions sondagières sont, dès lors, scrutés et analysés sous un angle exclusivement pathologique et symptomatique, pour ne pas dire psychanalytique. Partant, et l’apport de Laclau est pertinent sur ce point, c’est l’identité sociale du peuple qui est balayée d’un revers de main (La raison populiste, Seuil, 2008). Mais si l’on ose aller jusqu’au bout du raisonnement, c’est la souveraineté même du peuple, c’est-à-dire, son obstination à demeurer, en toutes circonstances, « maître chez soi, autant que maître de ses choix », selon l’expression du juriste Michel Clapié, qui est mise en cause par l’Oligarchie a-représentative. Aussi, en paraphrasant Coussedière, le populisme serait d’abord le retour du refoulé des souverainetés bafouées et bradées. C’est d’ailleurs ce qui caractérise, en propre, les populismes européens. Bien sûr, tous ne sont pas « souverainistes », au sens où on peut l’entendre en France, par exemple, avec le mouvement SIEL de Paul-Marie Coûteaux. Mais tous ont, prosaïquement, pour dénominateur commun, une volonté de refondation totale de l’Union européenne conjuguée à une reviviscence des identités nationales. Ces populismes témoignent d’un farouche désir de réappropriation d’un destin trop longtemps confisqué par des mains devenues incapables donc illégitimes. Ce volontarisme se retrouve aussi bien en Grèce (Aube dorée et Syriza), qu’aux Pays-Bas (Parti de la Liberté), au Royaume-Uni (British National Party ou English Defense League), en Hongrie (Jobbik et Fidesz), au Danemark (Parti du peuple danois), en Suisse (Union démocratique du centre), en Italie (Casa Pound) qu’en France avec le Front national ou les Identitaires. La saine réaction des peuples est la condition du regain des souverainetés.
aleucate@yahoo.fr - L’AF 2858
* Aristide Leucate est rédacteur à L’AF 2000, spécialistes des questions sociales et politiques