Le cru 2012 du « rapport du médiateur de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur » vient de sortir.
Dans sa troisième partie, il évoque les conseils de discipline et les mesures d’exclusion qui en résultent, « principalement prononcées dans les collèges » et « majoritairement pour des motifs d’incivilité, de menaces ou d’injures verbales ». Le rapport est formel : exclure d’un établissement, c’est très mal. Cela ne sert à rien et cela fait du tort à l’exclu. Le rapport parle de double peine pour ceux qui se préparent par exemple pour un CAP et qui risquent d’échouer faute d’avoir pu assister aux derniers cours. Monique Sassier, la médiatrice, soupçonne même à demi-mot les profs de pousser à la roue (certains ayant menacé de démissionner après la décision de réintégration d’une commission d’appel), parce qu’ils verraient dans cette sanction une reconnaissance de leur souffrance. (Cette souffrance génératrice d’absentéisme, un thème évoqué dans le deuxième chapitre du même rapport.)
Pour remplacer ce châtiment par trop cruel dont tant de familles se sont plaintes auprès d’elle, la médiatrice fait obligeamment un lot de propositions : « rédiger un règlement intérieur type », « organiser un temps d’échange dans un climat de confiance avec l’élève à qui est reproché un comportement fautif » (sic), « faciliter l’appartenance de l’enseignant à une équipe, en permettant au niveau de l’établissement une approche collective de la gestion des élèves perturbateurs », etc. Avec Monique-les-bonnes-idées, on est sauvés ! Sauf que, bien sûr, côté dissuasion, tout cela est à l’exclusion prononcée par un conseil de discipline ce qu’un escadron de majorettes est à la bombe atomique. L’indiscipline à l’école atteint des sommets, on supprime donc les sanctions. Je ne veux rien dire, mais il n’y a pas comme un problème ?
Lorsque l’on a consolé, mouché, rassuré, bordé dans son lit l’ex-futur exclu (et qu’on lui a souhaité bonne chance pour son CAP), reste un tout petit détail à régler : quid des 25 autres élèves de sa classe, en retard sur le programme dans toutes les matières puisque que le jovial olibrius mobilise à lui seul toute l’attention, le temps, l’énergie, la patience du corps professoral ? À force de lacunes accumulées, ne vont-ils pas devenir les vrais exclus du système ? Quid de ces enseignants que l’on soupçonne insidieusement, à travers l’exclusion, de vouloir se venger ou de soigner je ne sais quelle blessure narcissique, quand ils veulent surtout, découragés à force d’avoir tout essayé, passer enfin la main et, de flic, redevenir prof ?
Les sous-entendus de Monique Sassier procèdent d’un climat général. Florence Ehnuel (normalienne, professeur de philosophie) rapporte dans son dernier livre que le professeur chahuté a ceci de commun avec la femme violée qu’il se sent vaguement honteux : si ses élèves sont indisciplinés, c’est sa faute, il n’a pas « d’autorité naturelle », cette fameuse autorité naturelle censée remplacer par son seul charisme depuis plusieurs dizaines d’années les lignes à copier, les interros surprises, les mots dans le carnet de correspondance, les heures de colle, et maintenant l’arme ultime qu’est l’exclusion.
Et si la souffrance des profs venait de cette utopie idéologique selon laquelle la discipline à l’école pourrait se passer de toute coercition ?
source : Gabriel Cluzel
le blog de Gabrielle Cluzel : icilink